Il règne depuis quelque temps une certaine agitation éditoriale autour d'un auteur de BD que le qualificatif de Grand Ancien ne ferait sans doute pas flétrir, permettez-moi d'invoquer Alberto Breccia. (
wiki)
Ses meilleurs titres sont réédités et bien réédités chez Rackham, ce qui le fait discrètement resurgir des abîmes et donne envie de le faire valoir ici puis-qu’aucun sujet ne lui est consacré. Ce qui est odieux.
Graphiste argentin admirable et admiré, expérimentateur endurant soucieux de son média comme de son médium, le bonhomme nous a laissé quelques impondérables, spécialement lorsqu'il s'est associé à son pote Héctor Oesterheld - Citons, pour le plus cité, l'énorme
Mort Cinder et ses paradoxes temporels que n'aurait sans doute pas boudé HPL. (
page de l'éditeur)
C'est déjà pas mal mais ce n'est pas tout.
Habité par l'expressionnisme, le cinéma et la culture pulp, les labyrinthes de son compatriote Borges autant que par les héraut de la littérature fantastique anglophone, on lui doit aussi des adaptations de Stoker, de Poe
(c'est toi l'meilleur Edgar), et de Lovecraft, dont il a adapté huit nouvelles en moins de dix pages chacune, alors que sa palette graphique de l'époque était à mon avis full over the top. (
page éditeur)
Le parti pris de l'adaptation, faite d'ellipses lapidaires mais suggestives, peut susciter une certaine frustration chez le lecteur nécessairement convulsif de Lovecraft, mais si vous appréciez les expérimentations graphiques et si la polysémie de la bande dessinée vous met toujours de bonne humeur, ce recueil devrait faire mouche.
Cependant, celle que je recommande par-dessus toutes les autres, parce qu'elle titille le Mythe plus subtilement et plus sûrement, c'est le trop peu cité
Éternaute - soit le récit uchronique d'une invasion from outerspace qui sent bon la métaphore antifasciste et sur laquelle plane, que ce soit voulu ou non, l'ombre amorphe du Mythe: au petit jeu de l'impossible représentation de ce qui est indicible, Breccia est le patron.